La MAGIE des ISCLES

Texte de Serge Young


La salle par laquelle on entre dans l'atelier des Queyras a la blancheur d'un fournil de boulanger. Une fine farine de plâtre recouvre les rayonnages, les établis, la masse trapue du four, et des formes indéfinies qui ne sont ni des pains ni des brioches, mais des objets de pâte argileuse en attente de cuisson ou de parachèvement. Car nous ne sommes pas chez un pétrisseur de miches mais chez des potiers. Leur robuste demeure, les Iscles, est campée dans la plaine qui s'étale sous Forcalquier, ville provençale dont le nom millénaire est, comme le métier de Marie-France et Jean-François, sous le signe du minéral et du brasier : Forcalcherio, Four à chaux.

Mais au lieu-dit « les Iscles », il n'est pas question d'industrie : on y pratique passionnément un artisanat qui a les prestiges de l'art.

Dès passée l'humble porte qui sépare l'atelier de la salle d'exposition, c'est l'enchantement. Dominées par des sculptures énigmatiques, impressionnantes, sont disposées savamment sur des gradins des œuvres plus familières, voire utilitaires : vases, pots, plats multicolores et de tailles diverses.

Merveilles, pour le visiteur qui n'a pas assisté à la lente et toujours hasardeuse élaboration de ces objets d'argile sublimés par leur passage en enfer : vaisselles métamorphosées pour des rois nomades, boîtes et coffrets devenus refuges pour les bijoux et les secrets de princesses oisives.

Les mains ferventes des Queyras concevant et réalisant ces poteries luxueuses ou domestiques perpétuent l'œuvre qui blasonne les parvis rupestres de la préhistoire. Au sein de notre civilisation robotique se trouve célébrée l'alliance originelle avec les quatre éléments : la terre, le feu, l'eau et l'air.

Cet ancestral prolongement, Marie-France et Jean-François l'expriment mieux que jamais lorsqu'ils nous parlent du « raku », technique née au Japon à la fin du XVIe siècle, qu'ils ont intégrée à leur savoir et pratiquent avec leur habituelle rigueur, obtenant des céramiques d'une somptuosité hors du commun.

Quand ils évoquent les origines de cette tradition nipponne et les bols qui en furent les premières réussites, l'image de la cérémonie quasi sacramentelle du thé nous vient à l'esprit et nous donne l'audace d'apparenter ces bols à des calices, à des ciboires…

Une spiritualité plus haute rayonne de pièces nullement utilitaires et qui appartiennent avec évidence au domaine de la sculpture. Leur silencieuse présence séduit les esprits contemplatifs. Elles ont l'aspect de jarres volontairement décentrées qui semblent contenir l'énigme de l'Etre ou d'écus aux arêtes tranchantes, emblèmes de cités ou de guerriers de jadis. Des chatoiements de pierres précieuses, des irisations d'or ou d'acier pointillent leur surface sur laquelle la terrible épreuve du feu tendit –ô féerie !- une résille de craquelures.

À cet indicible Orient s'accorde la musique, les musiques si chères à la famille Queyras dont les Iscles résonnent encore lorsque s'achève la belle saison des concerts que Marie-France, Jean-François et leurs enfants organisent chaque année avec la même passion et la même exigence que celles dont témoignent leurs nobles travaux d'argile.